« À Corps Perdu » : on part à la recherche de la pureté allemande et du mystérieux "decoction mash" !
« À Corps Perdu » c’était tout d’abord un défi, celui de faire la pils parfaite, limpide, rafraichissante, pure, bref "crisp" comme disent les anglo-saxons : la bière de soif par excellence.
Un défi de taille car les lagers sont sans doute parmi les bières les plus techniques à brasser : ce style nécessite de la patience, de la rigueur, et un matériel performant. Certains défauts sont beaucoup plus faciles à identifier sur une pils que sur une bière noire à 14% ou sur une DIPA DDH à 25g/L de houblon !
En brassage amateur, brasser une bonne lager est un véritable challenge. Pour la partie brassage et décoction, vous devez avoir une grande casserole et de quoi la chauffer en plus de votre matériel habituel de brassage. Pour la fermentation, vous devrez avoir du matériel pour gérer la température de fermentation. Ce ne sont pas des détails !
Les belles canettes de « À Corps Perdu » illustrées par Yoann Houlbert !
Allez, on commence par un peu d’histoire pour bien comprendre ce style et son origine. Le mot "Lager" viens de l’allemand "lagern" qui signifie « stocker ». Une fermentation à basse température et une longue garde à froid seront en effet des étapes essentielles pour révéler les arômes subtiles de cette bière.
Pour réaliser une telle garde à froid, les lagers étaient historiquement brassées pendant les longs hivers d’Europe centrale. L’arrivée de la réfrigération a ensuite permis de produire cette bière tout a long de l’année ce qui a contribué à sa démocratisation et à sa conquête fulgurante du monde. Les lagers qui étaient traditionnellement brassées en Allemagne et en République Tchèque étaient appelées "Pils".
Aujourd’hui, même si certaines brasseries craft aux US essayent de redonner à ce style ses lettres de noblesse, les lagers trainent encore une sale réputation... C’est dommage, car quand elles sont bien faites, ce sont de petites bombes !
Notes de dégustation
La robe est limpide, pas totalement transparente (bière non filtrée), mais la garde longue à froid permet d'aboutir à un très léger voile trouble uniquement. Elle a de beaux reflets dorés, une mousse fine et d’un blanc éclatant.
Au nez c’est d’abord la fraicheur et la subtilité des houblons nobles : des notes résineuses et d’herbe fraichement coupée, mais aussi une pointe d’agrume et de miel.
En bouche, c’est une belle base maltée, très subtile et des fines bulles qui viennent titiller la langue. C’est désaltérant, TRÈS désaltérant !
Matériel
On a fait beaucoup d'essais avec un Braumeister 20L (comme toujours chez Fauve avant de répliquer la bière sur un gros volume) : la recette et les calculs sont adaptés pour ce type de matériel. Si vous voulez des tips pour l'adapter à votre système, n'hésitez pas à nous envoyer un message avec votre question ou à passer nous voir aux Cuves de Fauve à Paris ou dans notre nouvelle micro-brasserie de Montpellier, on sera ravis d'en discuter avec vous !
LES SPECS :
Volume en bouteille : 20 L
Efficacité / rendement : 70%
OG : 1,045 / 11,25°Plato
FG : 1,008 / 2°Plato
IBU : 24
ABV : 5,0%
EBC : 6
Les céréales :
3,6 kg de malt Pilsen (80%)
0,9 kg de malt Vienna (20%)
Facile n’est-ce pas ?
Le houblonnage :
Pour cette recette, on a choisi de travailler avec du houblon en cône pour exprimer toute la fraîcheur et les arômes délicats du houblon Hallertau Mittelfruh.
30 gr Hallertau Mittelfruh en début d’ébullition
15 gr Hallertau Mittelfruh à 15 min avant la fin de l'ébu
15 gr Hallertau Mittelfruh à la fin de l'ébu
La levure
2 sachets de 11,5g de SafLager W34/70 de Fermentis.
Il est important de bien choisir une levure de basse fermentation. C’est essentiel car c’est une souche différente de la célèbre Saccharomyces Cerevisiae. Son métabolisme lui permet de travailler à basse température et les différents composés qu’elle va relâcher dans la bière seront plus fins et subtiles qu’avec une levure de fermentation haute. Pour notre pils allemande, nous avons choisi une souche traditionnelle bavaroise, Deutsche Qualität, qui nous vient tout droit de la brasserie Weihenstephan !
Recette et decoction mash :
Pour cette recette, vous avez besoin de faire différents paliers dans votre cuve d'empâtage et d'avoir une casserole et des plaques chauffantes. Cela demande du matériel, mais c'est important pour avoir le rendu à l'Allemande ! On verra dans les astuces plus bas comment faire avec un peu moins de matériel.
Empâtez avec 20 litres d’eau et maintenez à 50°C pendant 10 minutes, l’idée étant de faire un court palier protéinique pour gagner en limpidité sur le produit final.
Montez ensuite la température à 62°C et maintenez pendant 45 min.
Montre ensuite la température à 73°C et maintenez 20 min.
Ne faites pas votre mash-out à 78°C, car c’est là que le fameux principe de decoction mash intervient !
Traditionnellement, cette méthode avait pour but une meilleure maitrise des paliers de température et une saccharification efficace des céréales, qui à l’époque étaient moins bien maltées.
Aujourd’hui, cette technique est toujours utilisée par les puristes car elle apporte une touche unique, difficile à décrire, une richesse en bouche, une "breadyness" comme disent les anglais. Cela proviendrait de certains composés phénoliques intéressants et de tanins qui contribuerait à la subtilité et la finesse légendaire des Lagers.
Le decoction mash est simple à réaliser en brassage amateur, la méthode consistant à prélever 1/3 du mélange eau/grain après l’empâtage dans une casserole et de porter ce liquide à ébullition.
Après cette courte ébullition de 5 min, le liquide est réincorporé dans la cuve d'empâtage. C'est en mélangeant le 1/3 de maische bouillante avec les 2/3 de maische à 72°C que l'ont atteint la température du mash-out à 78°C. Procédez ensuite à la recirculation et rincez avec 13L d’eau.
Avant ébullition, vous devriez avoir autour de 27 litres d’eau et une densité de 1,040/10°Plato.
Incorporez étape par étape le houblon pendant l’ébullition, pour jouer entre amertume et arômes.
Refroidissez votre bière à 11° et laissez fermenter pendant au moins 2 semaines, jusqu'à atteindre la densité de 1,014 et laissez la monter à 16°C en coupant le refroidissement (ne chauffez pas, ça sera trop brusque).
Une fois la fermentation terminée, baissez la température de 1°C/24h jusqu'à s'approcher de 0°C. En baissant la température doucement, vous allez aider les levures à ralentir leur métabolisme en douceur. Elles vont continuer à travailler à basse température. En faisant un "cold crash", elles vont juste tomber au fond sans nettoyer après elles. C'est la clé pour une lager réussie : procédez à une longue garde à froid d’au moins un mois.
À l’embouteillage, visez 2,5vol de CO2 ou 5g/L. Si vous refermentez en bouteille, sucrez à 4,7g/L.
Tips
Dans notre recette, on a choisi de faire un seul palier de decoction, c'est lié à notre matériel qui nous rend la tâche difficile si on souhaitait en faire d'avantage ! En théorie, vous pouvez faire TOUS vos paliers en décoction. Si vous vous sentez super chauds, vous pouvez en faire deux ou trois :
- Empâtez à 50°C, laissez reposer 10 minutes, prélevez dans votre casserole 1/3 de votre maische et faites la bouillir 5 minutes, mélangez le tout, vous serez autour de 64°C.
- Laissez reposer 45minutes et répétez l'opération, prélevez dans votre casserole 1/3 de votre maische et faites la bouillir 5 minutes, mélangez le tout. Vous serez autour de 74°C.
- Laissez reposer 10minutes et répétez l'opération, prélevez dans votre casserole 1/3 de votre maische et faites la bouillir 5 minutes, mélangez le tout. Vous serez autour de 78°C.
Au contraire, si vous ne souhaitez pas ou que vous ne pouvez pas faire bouillir votre maische, vous pouvez simplifier l'empâtage en gardant les paliers ou en faisant une simple infusion à 65°C. Le rendu ne sera pas le même mais c'est faisable.
En revanche, si vous ne maitrisez pas les températures de fermentation, vous allez dans le mur. Une lager fermentée trop chaud, ou avez des variations de température, c'est pas bon. Ça pue. C'est pas une lager clean.
Le mieux est d’avoir un vieux frigo qui traine dans votre garage, de le vider de ses étagères et de prier pour que votre fermenteur puisse rentrer dedans. Avec un inkbird, vous pourrez ajuster la température de votre frigo et gérer vos températures comme un pro !
Si vous le pouvez, en fin de fermentation, lorsque vous atteignez une densité de 1,014, laissez monter la température de votre frigo à 16°C. C'est ce qu'on appelle le "diacetyl rest", la hausse de température va aider les levures à manger des sous produits de fermentation qui ne sont pas désirables dans le style !
Enfin, pour affiner votre petite merveille, bichonnez-la avec une (très) longue garde à froid. Le plus froid étant le mieux. Idéalement entre -1° et 3° si votre matériel le permet !
Embouteillez, buvez, rafraichissez-vous ! Si votre soif ne peut pas attendre d'être étanchée, ça se passe ICI !
Pour toute question relative au brassage amateur, on répond sur brassam@fauvebiere.com !
La version pdf de la fiche de brassage en open source ICI !