Dans le cadre des "Brassins des Brasseur.se.s" chez Fauve, on aime s’aventurer vers des styles peu explorés, et ça nous intrigue d’autant plus s’ils sont historiques ! En se plongeant dans les années 1800, on découvre donc, en Allemagne (tiens donc), un style de bière qui nous vient de la ville de Lichtenhain : la Lichtenhainer.
La Lichtenhainer, c’est l’ornithorynque de la zythologie, c’est une bière faite pour éveiller les Indiana Jones au fond de vous, à la fois l’historien et l’aventurier. C’est une bière faite pour surprendre et pour impressionner, pour sortir une nouveauté tout droit venue du passé. La Lichtenhainer, c’est une Session Sour Ale au Blé Fumé et comme si ce n’était déjà pas assez, on a décidé d’y apporter une petite touche fruitée, made in Fauve.
Entre la fraîcheur de l’acidulé et le réconfort du fumé, entre la buvabilité du style et l’aromatique du fruit, on vise ici un équilibre entre des sensations contradictoires : c'est une bière qui associe des souvenirs de tous horizons pour en façonner un nouveau. La Lichtenhainer, c’est un feu de cheminée en plein été, c’est une éclaircie dans la nuit boréale, c’est une acrobatie sans danger et comme vous n’en trouverez nulle part ailleurs, on vous explique comment la brasser vous-même.
Notes de dégustation
Une robe jaune clair légèrement voilée, une mousse blanche assez fine. Au nez, ça porte sur les agrumes et une pointe lactique apportée par la fermentation bactérienne.
En bouche, c'est sec, fumé, on a une bière très rafraîchissante, acidulée, épicée sans amertume et avec un petit kick d’agrumes au finish.
Paradoxalement, c’est une bière pour expert qui peut également plaire à votre pote qui "n'aime pas la bière" !
Matériel
On a fait beaucoup d'essais avec un Braumeister 20L (comme toujours chez Fauve avant de répliquer la bière sur un gros volume) : la recette et les calculs sont adaptés pour ce type de matériel. Si vous voulez des tips pour l'adapter à votre système, n'hésitez pas à nous envoyer un message avec votre question sur brassam@fauvebiere.com ou à passer nous voir aux Cuves de Fauve à Paris ou à la micro-brasserie de Montpellier-Mauguio !
Specs
- Volume en bouteille : 20 L
- Efficacité / rendement : 70%
- OG : 1,040 (10°P)
- FG : 1,012 (3°P)
- IBU : 6
- ABV : 4,2%
- EBC : 6,9
Les Céréales
- Malt Pilsen 1,5kg (42%)
- Malt Vienna 1kg (29%)
- Malt de blé fumé au bois de chêne 1kg (29%)
- 100g de paille de riz (optionnel - c'est pour aider la filtration)
Pour le malt de blé fumé, c’est une proportion qui permet d’obtenir un ressenti fumé présent sans être dominant car on ne cherche pas à brasser une Rauchbier (les véritables bières fumées allemandes de la ville de Bamberg). Cependant, il est envisageable de pousser jusqu’à 50% pour les grands amateurs de brasero.
Le malt de blé fumé au bois de hêtre est également viable, en revanche le cerisier et le tourbé sont plus intenses et plus marqués, trop pour le style !
Le Houblonnage
- 4g d'un houblon amérisant clean type Magnum, pour apporter 6 IBU
Les Levures et Bactéries
- 1/4 de sachet de 11g Lallemand Wildbrew Helveticus Pitch
- 1 sachet de 11g Lallemand LalBrew Köln
Les Fruits
Vous aurez besoin des jus de fruits 4 ou 5 jours après le brassage, donc prévoyez vos achats en conséquence ! (c'est un peu comme "préchauffez votre four" en début de recette de cuisine). Quant aux écorces, plus tôt vous les avez, le mieux c'est ! Il faudra les faire infuser dans de l’alcool pour en récupérer un maximum d'aromatique.
- 10cL de jus de Yuzu et 50cL de jus de Bergamote : vous pouvez le presser et le pasteuriser ou prendre du jus pasteurisé.
- 5g d’écorces de Yuzu et 15g d’écorces de Bergamote
En fait, pour les agrumes choisis dans cette recette, c’est surtout le zeste qui porte le marqueur de goût différenciant. S’il est trop compliqué de trouver du jus pour ces 2 là, vous pouvez le remplacer par du jus de citron vert par exemple. En revanche les zestes de Yuzu et de Bergamote apporteront de la complexité, entre le citron et la mandarine avec une pointe florale. Comme pour le fumé, l’idée des fruits dans cette recette est de renforcer le côté agrumes naturellement attendu dans une Lichtenhainer. Pour autant, on n’a pas cherché à en faire trop. Il est envisageable de mettre de plus grosses quantités de Yuzu et de Bergamote si vous cherchez à marquer davantage ces ingrédients... au risque de masquer un peu les autres (attention) !
Si vous voulez utiliser des fruits frais, vous pouvez aussi jeter un oeil à la recette de Pale Ale à la Mangue, il y a plein d'astuces pour utiliser les fruits sous toutes leurs formes !
Recette
Le Brassage
Empâtez avec 20L d'eau et maintenez à 66°C pendant 60 minutes.
Vous avez remarqué, on a mis presque 30% de blé dans cette recette. Le blé, contrairement à l'orge, n'a pas la petite enveloppe qui aide à la filtration. On vous conseille d'utiliser des écorces de riz (ça s'appelle aussi de la "paille de riz", ou de la "balle de riz") ! Comptez environ 3% de paille de riz par rapport aux céréales, donc ici, autour de 100g !
Après 60 min d'empâtage, montez en température jusqu'à 78°C et maintenez 10 minutes.
Recirculez jusqu'à ce que le moût soit sans morceaux. Vous aurez du mal à avoir un moût super limpide avec 30% de blé, mais faites au mieux ! Ensuite, rincez avec 13L d'eau.
La fermentation lactique
Vous devriez avoir autour de [ ]L après filtration avec une densité de 1,040 (10°P). Montez votre moût à 90°C ou jusqu'à frémissement. À ce moment, surtout, n'utilisez pas de houblon (ça inhibe les petites bactéries lactiques !). L'intérêt de monter le moût à 90-100°C, c'est d'éliminer une grande partie des bactéries et levures contenues dans vos céréales. En revanche, ça ne sert à rien de faire bouillir pour le moment.
Ensuite, refroidissez votre moût à 40°C et là, vous avez deux options ! Soit vous le transférez dans un fermenteur propre et stérilisé que vous gardez auprès d'un radiateur, soit vous le laissez dans votre cuve d'empâtage/d'ébullition et vous gardez la consigne de température à 38°C.
Ensemencez avec 2,5g ou 1/4 de sachet de WildBrew Helveticus Pitch.
Là, vous allez laisser votre moût bien au chaud pour que les bactéries fermentent et produisent de l'acide lactique ! Au bout de 12h à 24h en fonction de la température et de la quantité de bactéries, vous devriez avoir un moût sucré et acidulé, qui sent un peu comme du yaourt bulgare ou quand vous mettez le nez au-dessus de votre yaourtière. C'est hyper bon, miam !
Pour info, chez Fauve en version pro, on ensemence en général avec 100g de WildBrew Helveticus Pitch dans 2000 L (aka 20hL) de moût à 40°C. On laisse les bactéries travailler environ 36h et on vise un pH de 3,5 avant la seconde ébullition.
Une fois que vous avez atteint le niveau d'acidité qui vous convient, versez votre moût dans votre cuve d'ébullition ou faites simplement bouillir, selon votre précédent choix de cuve d’acidification.
L’ébullition
Là, on revient sur les bonnes vieilles habitudes d'un brassin classique : faites bouillir pendant 1h en suivant le houblonnage simplissime ci-dessus. Vous devriez avoir autour de 24L avec une densité de 1,040 (10°P).
La fermentation
Enfin, refroidissez votre bière à 15°C, transférez dans un fermenteur propre et stérilisé et ensemencez avec un sachet de levure Lalbrew Köln (11g).
Chez nous, on ne réhydrate pas les levures pour des bières de ce niveau de densité. Vous devriez avoir autour de 22L dans votre fermenteur.
Laissez fermenter 5 jours à 15°C.
Les levures de Köslch sont souvent décrites comme des levures qui permettent d’apporter à la fois le caractère fruité d’une Ale et le profil propre d’une Lager. Une fermentation à basse température comme celle qu’on s’apprête à effectuer donnera des caractéristiques plus neutres.
L’ajout de fruits
Dès que vous ajoutez les levures dans votre moût, vous pouvez lancer une infusion de fruits dans l’alcool en parallèle. Choisissez de la vodka pour un profil neutre, ou du rhum si vous voulez parfumer un peu votre bière. Préparez alors un récipient clos type sachet plastique refermable ou bouteille en ajoutant vos écorces dedans, hachées finement si possible. Versez ensuite l’alcool dessus jusqu’à ce que tout soit immergé, ça devrait représenter moins de 5cL. Vous pouvez agiter ce récipient de temps en temps jusqu’au jour de l’ajout pour bien homogénéiser le mélange et ainsi extraire un maximum d'aromatique.
Après 5 jours de fermentation, quand la fermentation tumultueuse s'est calmée, versez le jus de fruits (pas le mélange alcool + écorces, mais bien le jus !) dans le fermenteur. Quoi, c'est si simple ? Oui. Ça sera bon ? Oui. Les fruits se mélangeront très bien avec la bière, vous allez avoir un maximum de goût, miam !
Faites fermenter votre bière avec les fruits au moins 10 jours. Les sucres contenus dans les fruits peuvent mettre du temps à fermenter, donc prenez votre temps et surveillez la densité !
Une fois que la fermentation est terminée, refroidissez le plus proche possible de 0°C, ajoutez alors le mélange écorce + alcool et laissez reposer 7 jours au moins.
C'est pas très grave le dépôt, mais ça peut faire peur à vos potes quand vous apportez des bouteilles de bière qui ont complètement phasé comme un jus d'ananas qui a traîné trop longtemps au frigo ! En plus, les zestes sont amers donc croquer dedans n’est jamais très agréable, on préfère qu’ils tombent au fond du fermenteur !
Ensuite, embouteillez ou enfutez en visant 2,75 volumes de CO₂ (autour de 5,5g/L de CO₂).
NOS TIPS !
Comme expliqué précédemment, la réussite de votre Lichtenhainer repose sur un jeu d’équilibriste entre les différentes palettes aromatiques que vous voulez faire ressortir simultanément. N’hésitez pas à jouer sur les quantités des différents ingrédients en fonction du résultat que vous recherchez !
Un truc marrant, c'est que votre cuve d'ébullition va être nickel chrome après une bière acide. Vous allez voir, l'acide lactique va dissoudre tous les dépôts minéraux et faire briller l'inox !
Si vous ne voulez vraiment pas vous embêter avec la fermentation lactique ou que vous avez besoin d'ajuster légèrement l'acidité (baisser le pH) il existe une solution simple. C'est pas très classe, c'est un peu de la triche mais ça fonctionne aussi : il suffit d'ajouter de l'acide lactique alimentaire. Vous n'aurez pas la complexité d'une fermentation, on n'a rien sans rien !
L'acide lactique, vous en trouverez dans votre meilleure boutique de matos de brassage amateur, en général dans le rayon traitement de l'eau. Le mieux c'est d'utiliser une petite seringue achetée en pharmacie et d'ajouter 0,5mL dans une pinte et de goûter. Montez 0,5mL par 0,5mL jusqu'à atteindre le goût désiré. Ensuite, il suffira d'extrapoler au fermenteur en entier (#règledetrois) ! Attention, c'est de l'acide, même alimentaire, c'est super dangereux quand c'est concentré, surtout pour vos yeux. Donc mettez des gants et des lunettes.
La version "Like a Boss", plus risquée et beaucoup plus stylée en cas de réussite, c'est de faire un brassin normal et de co-pitcher levures et bactéries lactiques en même temps. Vous ne maitriserez pas parfaitement le niveau d'acidité final, mais c'est la beauté de la nature !
Il existe de nombreuses sources de bactéries lactiques : nous, on a décidé de bosser avec les bactéries commerciales de Lallemand pour leur fiabilité et la facilité de répliquer des bières identiques, mais vous pouvez aller chercher des blends de bactéries chez d'autres levuriers, utiliser des bactéries de yaourt ou même simplement tremper une poignée de grains maltés dans votre moût à 40°C !
Si vous jouez la carte des bactéries sauvages, on vous conseille de pré-acidifier votre moût autour de 4,5 de pH avec de l'acide lactique, ça évitera le développement de bactéries potentiellement dangereuses. On vous conseille aussi de limiter au maximum le contact de l'air avec votre moût. Pour ça, vous pouvez purger votre fermenteur au CO₂, ou mettre du film alimentaire sur votre cuve. Ça permet de limiter la croissance de bactéries pas dangereuses mais qui puent le vomi !
Pour plus d'infos sur les méthodes pour acidifier vos bières, vous pouvez aller lire ce super article "The Art of Tart", en anglais encore, publié sur le génialissime site du magazine Craft Beer & Brewing.
L'OPEN SOURCE !
- La version pdf de la fiche de brassage en open source ICI !
- La recette est également dispo sur notre compte Little Bock ICI !
- Et pour les afficionados de Beersmith, on vous transmets également le fichier BeerXML disponible ICI !